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2. La martinique pendant la première guerre mondiale

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2.1 La situation des femmes martiniquaises

 

Les femmes martiniquaises ont joué un rôle majeur lors de la Grande Guerre. Le 22 Août 1914, elles mirent en place un comité d'assistance aux blessés nommé « L'union des femmes Martiniquaises » [1]. Celui- ci regroupait des femmes mariées avec des hommes importants en Martinique, dont la présidente d'honneur Mme Richard, femme d'un lieutenant colonel. L'union des femmes martiniquaises lança un appel aux personnes de la même région qu'elles, en expliquant que le but était d'aider les blessés de guerre. Le comité récoltait des produits divers auprès des entreprises ou des particuliers et envoyait ces produits aux soldats dont il possédait les adresses. Il s’adressait régulièrement à la population afin d’obtenir des vêtements en tricot de laine épaisse, du rhum, du sucre, de la gelée, de la marmelade, du chocolat ou encore de la farine de manioc.

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Les femmes martiniquaises étaient aussi des marraines de guerre, car elles adoptaient des poilus qui n'avaient aucune famille. Elles les prenaient en charge et tâchaient de leur envoyer régulièrement des lettres. Ces femmes possédaient des moyens suffisants pour loger des poilus car elles n'avaient ni maris, ni enfants, ni frères et sœurs.

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En 1914, 467 actes de reconnaissances d'enfants ont été enregistrés. L'année suivante, ce chiffre a explosé et plus de 1582 actes ont été décomptés. En effet, reconnaître un ou plusieurs enfants permettait aux hommes devenus « pères de familles nombreuses » de retarder leur mobilisation.

2.2 La mobilisation des soldats martiniquais

 

Les soldats Martiniquais ont été réellement mobilisés le 2 août 1915. Ils n’ont pas été mobilisés en 1914 car la guerre était censée être courte et il aurait été très  coûteux de faire venir des hommes des colonies.

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Le taux de réformés et d’exemptés dans les colonies était plus important que sur le continent. Cela reflétait la mauvaise santé de la population, qui souffrait souvent de sous-nutrition. Au final 8788 martiniquais ont été envoyé sur le front.

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2.3 Le voyage et les conditions de vie des soldats martiniquais

 

 

Les troupes coloniales se retrouvèrent en Martinique pour emprunter le bateau qui les emmena en Europe. Les premiers départs eurent lieu en mars 1915. La traversée dura 12 jours et les soldats arrivèrent dans les ports de Bordeaux, Nantes et Saint-Nazaire, puis furent envoyés dans le sud de la France pour perfectionner leurs connaissances militaires.  À leur arrivée en 1915, une grande partie des originaires des colonies fut dirigée dans l'armée d'Orient, aux Dardanelles, régions moins difficiles que celles de l’est. Mais là, les conditions de vie causèrent la perte de bon nombre d’entre eux. Les Dardanelles resteront dans les mémoires comme un traumatisme à cause du manque d'eau et de ravitaillement, de la chaleur étouffante en été, du froid glacial et des permissions inexistantes.  Les soldats des colonies étaient retirés du front pendant l’hiver puis étaient envoyés dans des régions plus chaudes car ils étaient nombreux à succomber de maladies et du froid.  Même en étant mis dans des conditions favorables, ces soldats coloniaux présentaient une morbidité plus élevée que celles des troupes européennes présentes dans les mêmes garnisons. Les soldats inaptes étaient renvoyés sur leurs îles ou gardés pour travailler dans les usines de guerre. Les blessés et les convalescents étaient envoyés dans les ateliers de dépôts ou les hôpitaux de l'arrière.

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Les Antillo-Guyanais ont obtenu des permissions pour se rendre à l'arrière ou dans les foyers coloniaux. Pour accueillir les permissionnaires créoles, le Foyer colonial fut crée à Paris en 1915. En septembre 1916, une demande fut faite au ministre des colonies pour autoriser les soldats antillais à pouvoir rentrer chez eux après 2 ans de services au front mais il a fallu attendre 1917 pour que cette nouvelle mesure soit appliquée et ce grâce aux députés. Selon le député guadeloupéen Bérenger, ’’Les soldats antillais doivent avoir la joie de retrouver leur famille, ils souffrent moralement de ne pas voir leur famille et physiquement à cause du froid’’[2].

Les poilus de la Caraïbe et la bataille de Verdun

2.4 Témoignages

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L'historienne martiniquaise Sabine Andrivon-Milton a publié, dans son ouvrage intitulé "Lettres de poilus martiniquais " (2008), de nombreuses correspondances de soldats martiniquais pendant la première guerre mondiale. On y retrouve notamment des lettres de François EGOUY adressées à l'ancien député de la Martinique et membre du Comité d’Aide et d’Assistance Coloniale, Joseph LAGROSILLIERE. 

"Lettres de poilus martiniquais",  S. Andrivon-Milton, S.A.M Editions, 2008

Oran, le 31 décembre 1914

 

Monsieur le député et cher compatriote,

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Au nom des Créoles du 2e Zouaves, j’ai l’honneur de m’adresser à votre haute bienveillance pour vous témoigner notre gratitude et solliciter votre intervention au sujet de l’attitude que les autorités militaires et civiles d’Oran semblent prendre vis-à-vis de nous.

Depuis la mobilisation, nous sommes l’objet de mille et mille vexations et mépris de la part des Oranais.

Les autorités militaires refusent de reconnaître notre droit et de nous élever au grade que nous avons, par notre travail incessant et notre valeur légitime, mérité et acquis légalement.

C’est ainsi que Caprice, Valony et moi qui avons subi avec un brillant succès, en juillet dernier, l’examen d’élèves-officiers de réserve à Alger, nous sommes toujours dans le « rang » tandis que les Européens qui ont subi les épreuves en même temps que nous sont depuis longtemps promus au grade d’officiers. De plus, nous avons demandé en novembre dernier, à suivre les cours d’officiers d’Alger, étant donné que nous remplissons les conditions nécessaires  et suffisantes ; le commandant du corps a refusé, en disant que « les Créoles ne doivent participer à ces cours parce qu’ils ne vont pas à la frontière ».

Nous nous sentons humiliés devant une telle attitude. Ainsi, des hommes de mérite se voient écartés de leur carrière par un simple préjugé « Créole » et se voient devancés par d’autres beaucoup moins valeureux qu’eux. Tel est notre cas. Nous réclamons donc avec confiance, votre intervention auprès du Ministre afin qu’il donne des ordres en conséquence pour faire cesser cet état de chose.

Pour la grandeur et la gloire de notre chère Martinique, nous restons confiants en votre initiative et en votre énergie habituelle.

Dans l’espoir que notre lettre recevra l’accueil qu’elle mérite et que vous daignerez lui donner une suite, nous demeurons vos dévoués et reconnaissants compatriotes Martiniquais.

 

Pour les créoles du 2e zouaves :

François EGOUY(ex-instituteur de Sainte-Marie,

caporal au 2ezouave, 71e compagnie).   

Le Bloc, le 20 novembre 1915

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Dans les tranchées d’Orient, 20 mai 1915,

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Cher et distingué député,

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J’ai reçu le 14 courant votre lettre du mois d’avril et je suis heureux de vous en accuser réception. Je ne trouverais peut-être pas d’expression assez grandioses pour vous remercier, vous louer et vous féliciter à la fois ; mais sachez, cher maître et vaillant député, que vous êtes le héros, la gloire et l’honneur de votre race. Tous mes compatriotes vous adressent leur respectueux dévouement.  Nous sommes heureux du succès que vous avez eu dans l’application  de la loi du recrutement général dans les vielles colonies des Antilles. J’ai communiqué votre rapport à mes compatriotes; ils en sont fiers. Nous constatons une fois de plus que vous ne nous oubliez pas. Nous vous serons reconnaissants. Ici l’on ne trouve pas facilement de quoi écrire ; vous excuserez ma modeste carte.

Je vous embrasse bien.

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EGOUY

Le Bloc, le 20 novembre 1915

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X… le 15 août 1915

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Mon cher Député et compatriote,

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J’étais un ami intime du pauvre Egouy et je savais qu’il était en correspondance avec vous – donc mon devoir était de vous informer plus tôt de cette triste nouvelle.

Comme il a dû vous l’apprendre le 28 juin dernier, il recevait sa promotion au grade de sous-lieutenant. Il a été si longtemps à la peine, il devait être à l’honneur pour peu de temps. En effet, le 12 juillet après un assaut où il s’était conduit d’une façon chevaleresque, il recevait l’ordre de son chef de bataillon de laisser sa compagnie pour prendre le commandement d’une autre qui n’avait plus de gradés ou plutôt d’officiers. Il devait traverser une partie du terrain complètement à découvert et battu par le feu de l’ennemi.

Toujours brave, hardi, héroïque, il s’élança comme une flèche, mais fut atteint par une balle malheureuse en plein front juste au moment où il franchissait le parapet pour prendre son nouveau commandement. Il expirait quelques minutes après en véritable héros, pleuré de ses hommes, qui l’adoraient et regretté de ses chefs qui l’estimaient. Aussi, a-t-il eu à l’ordre du jour de l’armée la plus belle citation que puisse avoir un brave.

La semaine dernière j’ai reçu une balle en pleine poitrine qui n’a pénétré que de trois centimètres environ. On a pu extraire la balle en temps voulu. J’ai refusé de me faire évacuer. A l’heure actuelle, je suis presque rétabli. J’ai eu comme récompense une citation à l’ordre du jour du régiment. Permettez-moi de vous faire une petite requête. Même sur le théâtre des hostilités on est l’objet de passe-droit :

Ainsi, depuis le 24 décembre 1914 j’ai été promu aspirant, je le suis encore après trois mois de campagne, tandis que des aspirants des classes 14 et 15 sont sous-lieutenants depuis longtemps. Ils ont moins d’ancienneté de service (je suis de la classe 12), moins de grade et moins de campagne que moi.

On doit faire son devoir en guerre et non chercher à gagner des galons, c’est vrai. Mais pourquoi ces faveurs ? Je suis le seul des aspirants de la classe 12 qui se trouve dans ce cas ; tous les autres ont obtenu déjà l’épaulette. J’espère mon cher député, que vous prendrez ma demande en considération et que sous peu j’aurai le plaisir de vous adresser mes remerciements.

Dans l’attente de vous lire, veuillez agréer, mon cher député et compatriote, l’assurance de mon plus profond respect et mes remerciements anticipés.

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C.

Le Bloc, le 20 novembre 1915

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